“Système d’Exploitation”, quand le théâtre nous ramène à l’essentiel

Chers Théâtreux,

Dans cette nouvelle lettre, je vais vous parler d’un potentiel futur pas si lointain, de connexion et de déconnexion, d’émotions et de relations humaines, de mythologie grecque, de RGPD, d’un état d’urgence, de la beauté de la vie, et surtout d’un spectacle qui captive et bouscule. C’est ce que j’ai pu ressentir quand je me suis rendue dans le très chaleureux théâtre A La Folie pour découvrir la pièce “Système d’Exploitation”, écrite par Luc Mouret, et mise en scène par Luc Mouret et Adeline Belloc.

Comment ne pas devenir fou quand les écrans sont partout ? Dans un futur proche, alors que la crise écologique et économique s'accélère, les citoyens restent scotchés à leur smartphone. Deux coups de feu résonnent dans une « agence sociale » récemment privatisée. Cassandre une militante éco-anxieuse, Morphée un chômeur insomniaque, Hermès un livreur ubérisé, Gaïa une mère isolée et Dédale une cadre en burn-out, étaient sur place. Que s'est-il passé ?

Le spectateur s’installe en découvrant des humains hyper-connectés : certains peut-être pour envoyer un ultime SMS avant le début du spectacle, regarder une vidéo, lire un article “enregistré pour plus tard”, vérifier leur fil d’actualité sur les réseaux sociaux, chercher le “mode avion” du téléphone… Un contexte que j’ai souvent observé en arrivant dans une salle de spectacle. Et c’est la manière dont cette troupe de comédiens a choisi de nous faire entrer dans leur univers théâtral.

Sitôt les lumières de la salle éteintes, nous sommes conduits au sein d’une agence de la CAN (Caisse d’Allocations Nationale) - fusion des organismes Pôle Emploi et Sécurité Sociale. Un organisme dont la mission semble fondée sur l’aide aux individus en situation de précarité ou de détresse. Nous assistons alors à une scène de vie quotidienne dans cette agence, où nous allons rencontrer plusieurs humains - chacun d’entre eux arrivant avec son bagage émotionnel.

Ainsi, nous faisons la connaissance de Dédale (cadre administratif chargée d’enregistrer les demandeurs d’aide dans le fastidieux labyrinthe administratif), de Midas (sorte de voix omniprésente et milliardaire soucieux de cette quête de progrès et de confort permanent), de Gaïa (mère essayant de subvenir à ses besoins fondamentaux et ceux de ses enfants), de Cassandre (jeune militante écologiste soucieuse d’un futur peu réjouissant), d'Hermès (sorte de livreur, messager, et serviteur qui s’ignore), et de Morphée (chômeur à la tendance insomniaque, shooté aux écrans et à l’actualité). Les amateurs de mythologie seront comblés !

Chacun des personnages de l’histoire - tous hauts en couleurs - aura sa mission et son message à transmettre. J’ai particulièrement aimé le lien entre les références à la mythologie grecque associées avec ingéniosité avec les événements et tendances de notre société actuelle. Chacun d’entre eux pourrait alors - grâce à la magie du théâtre - nous représenter chacun d’entre nous avec nos peurs, nos difficultés quotidiennes, le poids et l’angoisse que l’on porte sur les épaules, et aussi nos envies, notre espoir, notre besoin de nature et de liens humains.

Crédits Photos : Laura Glacer

Entre théâtre et danse, dans une mise en scène chorégraphiée et aussi poétique, “Système d’Exploitation” offre un point de vue de la vie comme une sorte de course permanente où nous retrouvons des humains à bout de souffle, stressés et fatigués, tentant de rentrer dans une norme sociale, qui ne trouvent parfois plus de sens à ce monde, et qui malgré tout gardent un peu d’espoir au fond d’eux. Voici une tragi-comédie contemporaine qui illustre notre société fondée sur un monde hyper-connecté, et dans une quête d’immortalité et de progrès permanent.

“Système d’Exploitation” est une proposition artistique audacieuse qui dénonce et bouscule, au sujet d’une société fondée sur le confort à tout prix, et la tendance à une consommation parfois non-essentielle… au détriment de ce qui est peut-être véritablement essentiel, comme la vie, la nature, les liens sociaux… (et l’art sous toutes ses formes aussi, mais ça c’est mon point de vue personnel).

Un spectacle qui nous ramène à l’essentiel, nous aide à déconnecter de la pression sociale, et nous fait passer un nouveau moment suspendu au théâtre - montrant ainsi à quel point le spectacle vivant est essentiel.

Sur ce, je vous dis à très vite, et au plaisir de se croiser dans une salle de spectacles, dans la vraie vie, ou bien ici-même, pour un nouveau récit d'aventure théâtrale.