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“Emma”, quand le théâtre nous apprend à être nous-même

“Emma”, quand le théâtre nous apprend à être nous-même
Chers Théâtreux,
 
Dans cette nouvelle lettre, je vais vous parler de littérature, de “Madame Bovary”, de l’histoire d’une femme, de réflexions sur la vie, et surtout d’un seul-en-scène qui nous emmène en voyage entre imaginaire et sensibilité. C’est ce que j’ai ressenti quand je me suis rendu au Festival OFF d’Avignon pour y découvrir le spectacle “Emma”, écrit et mis en scène par Dominique Bréda, et interprété par Julie Duroisin.

Il y a quelques mois, j’ai relu Madame Bovary, ce roman que tant de personnes considèrent comme responsable d’avoir gâché leur jeunesse. Je l’ai lu. Ce fut le choc. De toute évidence, Flaubert n’est pas cet ennemi à abattre. Il devait même aimer profondément ses futurs lecteurs pour vouloir leur offrir un style si pur, une écriture si limpide au service d’un propos si visionnaire. A croire qu’il avait des antennes dirigées vers le futur… « Je m’appelle Emma, j’ai dix-sept ans et j’ai d’autres choses à me taper que Flaubert. Cette histoire est mon histoire. »

L’une des choses qui me fascinent le plus dans les arts de la scène, c’est que vous pouvez autant émerveiller votre public à travers le grandiose qu’à travers la simplicité ; que les deux sont finalement assez complémentaires pour le spectateur ; mais que la simplicité, lorsqu’elle est confiée à un brillant conteur peut vous amener une image aussi nette qu’un portrait, tout en laissant le pinceau au spectateur ; à travers son imagination, l’imagination sollicitée va compléter l’esquisse dessinée par un comédien talentueux, sans que le spectateur s’en rende compte lui-même.
 
Dans ce seul en scène, Julie Duroisin donne vie à un texte drôle et profond de Dominique Bréda, d’une façon magistrale. Avec un talent monstrueux, elle incarne l'essence même du récit théâtralisé, du sketch et du stand up, la figuration des émotions d'une manière suffisamment évocatrice pour pouvoir se passer d'une représentation strictement réaliste, mais où la figure jouée apparaît nettement dans votre esprit en un clin d'oeil.
D’ailleurs, en cela, il me semble que le théâtre est un peu le chaînon manquant entre le livre et le cinéma : il entre dans le réel, mais n'offre pas une représentation exacte. Il donne au spectateur la base du positionnement des personnages du récit, mais ne fixe pas tous les détails. Il laisse donc au spectateur un effort d'imagination à faire, à la manière d'un livre, mais un conteur efficace sait alors ancrer en quelques instants dans l'esprit de son spectateur l'image souhaitée, que le spectateur pourra alors s'approprier.
 
L’évocation se fait à travers une mise en scène astucieuse reposant sur des éléments bien concrets, comme la longueur du pantalon, ou d’autres pièces d’habillement ou accessoire : par exemple, à chaque longueur du pantalon correspondra un personnage, et une de ses caractéristiques ; et certains de ces éléments narratifs, comme les nounours qui sont l’interlocuteur du personnage dans chaque scène, permettent d’évoquer quelque chose de l’évolution du personnage… Et tous ces codes de mise en scène s’imposent en nous de façon subtile, de façon presque inconsciente.
 
Ce qui force le plus l’admiration, c’est la façon dont Julie Duroisin s’approprie et donne à chaque personnage, à travers les changements dans le ton de sa voix, l’intonation, les jeux de mimiques, etc. Chacun de ses changements est d’autant plus fascinant qu’il joue à fond sur cette part d’imagination naturelle au spectateur, en lui laissant en permanence juste assez d’éléments pour faire une esquisse assez précise de ce que l’on veut provoquer chez lui, tout en laissant assez de marge de manœuvre au spectateur pour qu’il complète le portrait avec son propre univers et son propre référentiel, ce qui facilite l’appropriation du texte par le spectateur.
Ainsi, on peut dire deux choses de ce seul-en-scène : c’est, tout d’abord, que le talent de Julie Duroisin fait d’elle une merveilleuse conteuse, ce qui n’est pas un don simple ; et que l’alliance de ce talent et de ce texte subtil en fait un de ces spectacles qui développe ce qu’il y a de meilleur chez le spectateur : son intelligence et sa sensibilité…
 
Car “Emma”, ce n’est pas seulement une comédienne brillante, c’est aussi, et autant, une belle histoire d’écriture : Dominique Bréda avait promis à sa belle sœur, Julie Duroisin, de lui écrire un texte lorsqu’elle serait « grande » ; et promesse tenue : à sa sortie du conservatoire, il lui a fait cadeau d’un texte magnifique, et visiblement à la mesure du talent de la comédienne, au vu de ces quatre personnages qui prennent vie sur scène, et de la longévité de ce texte, régulièrement remis en scène au fil des ans.
 
Avant tout, "Emma" est une leçon de vie intemporelle, qui se sert du roman comme fil rouge de sa réflexion philosophique, semi-métaphorique, et teintée d’humour.
Le texte de Flaubert remplit deux fonctions dans ce seul en scène : il sert de fil rouge, mais aussi de point de départ, à travers la notion de bovarysme, au constat que le texte dresse sur nos habitudes de vie et nos tendances naturelles.
Consumérisme, besoin de bonheur plus ou moins artificiel, de romance ou de vecteurs artificiels sur l’image de soi, tous ces thèmes paraissent découler plus ou moins naturellement de l’univers d’Emma Bovary ; Mais le seul en scène, quant à lui, se concentre plutôt sur ce qu’il y a derrière les faux-semblants. Et s’il le fait avec beaucoup d’humour, il le fait aussi avec une certaine sagesse qui pousse à la réflexion… Mais je n’irai pas plus loin sur cette question, pour ne pas spoiler, et pour vous laisser en tirer vos propres conclusions ! 

Le bovarysme décrit un état d'insatisfaction, sur les plans affectifs et sociaux, qui se rencontre en particulier chez certaines jeunes femmes névrosées, et qui se traduit par des ambitions vaines et démesurées, une fuite dans l'imaginaire et le romanesque.

La pièce fonctionne en deux temps :
- D’abord, une progression vers la présentation des quatre portraits du même personnage : 
Ce bébé d’un an 1/2, dont l’intelligence inouïe lui permet de maîtriser naturellement le même niveau de savoir et de sagesse qu’un universitaire spécialiste de plusieurs disciplines, avec des décennies d’expérience dans de nombreux domaines, mais qui ne peut pas l’exprimer aux adultes, et qui se rend compte que l’intelligence va le quitter avec l’entrée progressive vers le monde des « grands »… Et ce personnage, drôle au premier abord, va se révéler, par effet de miroir, beaucoup plus profond qu’il n’y paraît ! 
Puis suivent les différentes étapes d’une vie : l’Emma de 17 ans, ado rebelle, rétive à la lecture de Flaubert, l’Emma de 45 ans qui réalise - à l’aune de ce que lui a appris la vie - la profondeur de ce texte qui lui montre une certaine sagesse ; et la dame âgée, qui tire les conclusions drolatiques de toute cette comédie… 
 
- Suit alors un jeu d’aller-retour entre les différents personnages, qui permet de mettre en valeur un jeu d’éternel recommencement, et une belle illustration du karma, mais aussi des symboles sur lesquels j’aimerais dire beaucoup de choses… Mais vous aurez beaucoup plus à gagner à voir cette pièce vous-même avant que, par enthousiasme, je ne vous en dévoile trop !
 
Emma”, c’est un texte de qualité auquel une comédienne exceptionnelle donne vie avec un talent de conteur qui est, à mon sens, l’essence même du seul-en-scène : une discipline qui pousse le spectateur à apprivoiser son imaginaire et à réfléchir avec plaisir…
 
Alors merci à Julie Duroisin, et à Dominique Bréda pour ce voyage aux frontières de votre imaginaire, et de notre sensibilité, à moins que ce ne soit l’inverse, avec ce beau roman comme fil conducteur, pour une leçon de vie qui ne vous laissera pas insensible !
 
Sur ce, je vous dis à très vite, et au plaisir de se croiser dans une salle de spectacles, dans la vraie vie, ou bien ici-même, pour un nouveau récit d'aventure théâtrale.
Crédits Photos : Aude Van Lathem
Crédits Photos : Aude Van Lathem
Crédits Photos : Aude Van Lathem
Crédits Photos : Aude Van Lathem
Crédits Photos : Aude Van Lathem
Crédits Photos : Aude Van Lathem
Crédits Photos : Aude Van Lathem
Crédits Photos : Aude Van Lathem

Crédits Photos : Aude Van Lathem

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L'Équipe Artistique
Auteur : Dominique Bréda
Mise en scène : Dominique Bréda avec l'aide de Laurence Adam
Interprète : Julie Duroisin
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A l'attention des programmateurs, pour découvrir ce spectacle et l’amener dans votre ville et/ou lieu de spectacle, je vous invite à prendre contact avec : 
Pour la Belgique : LIVE DIFFUSION – Denis Janssens - diffusion@live.be 
Hors Belgique : CREADIFFUSION - Jean-Pierre Créance - jp.creance@creadiffusion.net
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Lauriane Cronier

Lauriane, théâtreuse passionnée, met en lumière le monde du spectacle, pour ajouter plus de théâtre à la vie et plus de vie au théâtre.
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