Être “Amaurose” signifie “celui qui perd la vue de manière transitoire ou définitive”... Au travers de ce dîner qui se veut plutôt festif à l’origine puisqu’à la veille d’un mariage, nous sommes spectateurs d’une incohérence dans le comportement des différents invités et hôtes. On découvre peu à peu, à travers quelques remarques - en apparence innocentes - une emprise, une perversion du futur marié, que ce soit envers sa fiancée ou bien envers les invités. De mon fauteuil, je me suis, à plusieurs reprises, sentie comme impuissante - voire mal à l’aise au vue de la scène qui me crevait les yeux : nous avions affaire à une femme victime de violences conjugales. Pourtant, c’est comme si tous étaient "amauroses", dans le déni, sous emprise, dévoilant ainsi le “monstre” qui est en eux.
Le choix de la mise en scène s’oriente ici vers un spectacle interactif, où à quatre reprises l’un des comédiens fait appel au public pour choisir dans quelle orientation ira la suite de l’histoire. Aussi, le public a quatre choix à faire (parmi deux propositions à chaque fois) : et chaque décision (sous forme de vote à main levée) fera basculer l’histoire d’une manière ou d’une autre… Une idée que j’ai trouvée plutôt astucieuse pour impliquer les spectateurs dans cette histoire - les rendant ainsi acteurs de la scène qui se trame - où tout est question de décisions et de choix personnels et/ou collectifs.
En sortant de la salle, j’étais dans un premier temps un peu secouée et déroutée par ce que je venais de voir, ne comprenant pas à quel point on pouvait être aveugle quand un tel comportement se manifeste devant nos yeux. Et puis, avec un peu temps, j’ai pris conscience de l’ingéniosité de cette proposition artistique : grâce à l’art, grâce au théâtre, grâce à la danse, grâce à l’improvisation aussi, j’ai pris conscience de la nécessité de cette mise en avant d’une situation qui peut s’avérer être le quotidien de nombreuses femmes.
Il y a d’ailleurs ce moment où les “monstres” se révèlent, sous la forme d’une scène non verbale et entièrement chorégraphiée, amenant ainsi une sorte de “douceur visuelle” face à cette violence. Une fois de plus, le théâtre s’avère être essentiel pour transmettre des messages et éveiller les consciences grâce à une représentation plus “poétique” sur scène.
Par l’exemple de cette situation encore tristement d’actualité que sont les violences conjugales, “Amaurose” apparaît ainsi comme un spectacle audacieux et nécessaire pour faire prendre conscience du “monstre” qui pourrait apparaître en chacun de nous quand nous sommes sous influence.
Voici un spectacle qui mérite vivement l’attention, et que je recommande pour un public averti. Un création qui vous fera passer un moment suspendu et étonnant au théâtre.
Sur ce, je vous dis à très vite, et au plaisir de se croiser dans une salle de spectacles, dans la vraie vie, ou bien ici-même, pour un nouveau récit d'aventure théâtrale.