Cet été, j'ai eu le plaisir de rencontrer un comédien inspirant que je suis depuis quelques années et que j'ai notamment découvert grâce la troupe d'improvisation "Les Colocataires". Il s'agit de Jérémy Charbonnel. C'est dans la chaleureuse et intimiste salle du Point Virgule, théâtre révélateur de talents, que j'ai pu lui poser quelques questions, à quelques minutes d'une représentation de son one-man show "Fils de..."
Qu’est-ce qui t’a donné un jour l’envie de devenir comédien ?
J’ai neuf et onze ans d’écart avec mes deux grands frères, et quand j’étais enfant, dans les années 1990, ils regardaient « Les Nuls, l’émission ». J’adorais parce que c’était très drôle. Je voyais mes frères se marrer et je trouvais cela fabuleux de pouvoir faire rire les gens. Dans les repas de famille, je faisais une parodie du journal télévisé des Nuls, avec ma cousine, et j’écrivais des petits sketchs. J’ai également fait des stages de théâtre. Je pense que l’envie d’être comédien est née là.
Ensuite, tu grandis, et à l’adolescence tes parents te disent de faire des études, de passer ton bac, et de faire une école de commerce. Et puis à 20 ans, tu ne sais pas pourquoi, il y a un truc qui te revient comme un boomerang dans la figure et qui te dit que tu n’es pas à ta place. Je me rappelle, c’était pendant un cours de compta ou de gestion, je me suis demandé « mais qu’est-ce que je fous là, ce n’est pas mon truc, je sens que j’ai envie d’essayer autre chose. » C’est là où je suis parti à Paris et que j’ai commencé à me former en tant que comédien.
Du coup, quelles seraient tes influences artistiques ?
Les Nuls ont bercé mon enfance. Ensuite, je suis tombé sur des VHS d’Elie Kakou et je reprenais des sketchs à la maison (le prof, l’attaché de presse…) que je me revois très bien faire dans la cuisine de mes parents.
En arrivant à Paris, il y a onze ans, les premiers spectacles que j’ai vus, c’était ici, au Point Virgule. J’y ai découvert Alex Lutz et Jérôme Daran, pour qui j’ai eu deux vrais coups de cœur et j’ai suivi leur parcours depuis. J’ai vu presque tous les spectacles de Jérôme, que ce soit au Point Virgule, au Splendid, et à l’Olympia. Et puis, Alex Lutz pour le côté comédien et le jeu incroyable.
Comment est né ton spectacle « Fils de… » et que représente-t-il pour toi ?
Quand je suis arrivé au Point Virgule, le spectacle s’intitulait encore « L’homme moderne ».
On dit souvent que le Point Virgule est un révélateur de talents dans le sens où on est suivis. Et« Fils de… », c’est tout le travail qu’on a fait avec la directrice artistique du Point Virgule – Antoinette Colin, qui est quelqu’un de formidable qui suit tous les artistes pour les faire émerger et les développer – qui m’a dit la première fois qu’elle avait vu mon spectacle : « j’ai un souci c’est que je ne sais pas qui tu es ».
Je faisais beaucoup de personnages où je me cachais derrière des masques, des carapaces. En farfouillant un peu dans ce que je suis, « Fils de… » est vraiment l’adéquation parfaite : cette dichotomie entre ce « fils de » bonne famille, de gendre idéal, et l’autre « fils de » un peu moqueur, un peu taquin qui est aussi en moi.
Par rapport à la première version de ton one, comment tu te sens maintenant avec ce nouveau spectacle ?
Je me sens beaucoup plus sincère. Il faut du temps pour bien se connaître. Le métier d’acteur sur scène, c’est un énorme développement personnel. Pour pouvoir dire ce que tu dis, il faut quand même un minimum te connaître et avoir une petite introspection personnelle.
Je dirais que la première mouture du spectacle, « L’homme idéal ou juste un gros connard », c’est le côté fougueux du gamin de 20 ans qui a envie de faire rire, qui y va, qui tente tout, qui ose tout, parfois en s’éloignant de soi.
La version d’aujourd’hui, c’est mon petit bébé parce que je n’y ai jamais mis autant mes tripes et autant ce que je suis. Souvent, on me demande quand je vais écrire un nouveau spectacle, mais pour le moment celui-là est tellement sincère que je me dis qu’il faudrait que je m’arrête un an pour prendre du recul et savoir ce que je pourrais raconter d’autre. Toutes les thématiques dont je parle dans le spectacle sont ce que je vis aujourd’hui : marié, peut-être des enfants, le fait d’avoir choisi une autre vie que celle qui était prédestinée par les parents, c’est la vie de jeune trentenaire que n’importe qui pourrait avoir.
On voit des parcours changer à 30-40 ans, parce qu’il y a ce petit truc humain en plus que peut-être les entreprises n’ont plus aujourd’hui, ou peut-être faut-il aussi que les entreprises trouvent un autre style de management pour que les gens s’y sentent bien, comme nous on se sent bien à faire ce qu’on fait. Ce n’est pas toujours facile, on a aucune assurance, on n’a pas de CDI mais on a ce petit truc de liberté qui n’a pas de prix.
Y’a-t-il un moment dans le spectacle que tu aimes particulièrement ?
Il y en a plein.
J’aime la « doudou liste » parce qu’elle est très révélatrice de l’éducation qu’on reçoit, et un peu de la « dictature parentale » qui est ancrée en nous : nos parents ont envie quelque part de nous emmener sur le chemin classique, peut-être parce qu’avec l’expérience, ils voient la difficulté de la vie et se disent qu’il est mieux d’avoir un salaire fixe. Mais il y a un autre facteur qu’on ne maîtrise pas, c’est l’épanouissement personnel que tu peux avoir à faire un métier comme ça : certes il est très instable, mais il est incroyable.
Il y a aussi le sketch de l’accouchement, parce que c’est hyper physique et que c’est assez surprenant pour les gens. Je prends aussi beaucoup de plaisir à jouer le sketch sur les « végan ». Je pourrais te citer plein de moments comme ça dans le spectacle. Ce qui est assez chouette, c’est que j’ai l’impression que chaque chose est assez différente : que ce soit les « végan », l’accouchement, ou encore le conte pour tous, ce sont des traitements à chaque fois différents.
C’est le spectacle le plus personnel et le plus autobiographique que j’ai. Quand tu sors de ce spectacle, tu sais vraiment qui je suis.
As-tu une anecdote à nous raconter ?
J’ai une pure anecdote ! Un jour, le Point Virgule m’appelle à 14h – je jouais à 20h – pour me dire qu’ils avaient une demande un peu particulière : quelqu’un aimerait demander sa femme en mariage pendant le spectacle.
Donc, je vois cette personne au théâtre, vers 19h. En fait, il devait demander sa femme en mariage en haut d’un hélicoptère en faisant le tour de Paris, mais il y avait trop de vent cela a été annulé. Et il me dit : « c’est aujourd’hui ou jamais, je veux la demander en mariage, on m’a conseillé ton spectacle, comment on pourrait faire ? »
Je lui explique qu’à la fin du spectacle je vais dire que j’ai aussi des talents de mentaliste et de magicien, et que je prépare un sketch pour l’émission de Drucker. Je demanderai au public si je peux le tester devant eux et que pour le faire j’aurais besoin d’un cobaye. Et là je vais choisir sa femme pour monter sur scène, je vais lui bander les yeux, je vais commencer le speech du sketch, et à ce moment-là lui va prendre le relais, et je vais dire « à trois il va se passer un truc incroyable » et je vais enlever son bandeau. Et il sera sur scène pour la demander en mariage.
Ça a été incroyable, j’en ai des frissons en le disant. Il y avait le mari qui filmait, et qui, après, m’a passé son téléphone pour que je le filme lui en train de faire sa demande, et tout le public était là, c’était incroyable. Et elle a dit oui.
Y’a-t-il une réaction de spectateur qui t’a particulièrement marqué ou touché ?
Je peux moi-même prendre un fou rire en entendant et en voyant les gens rirent, notamment sur le sketch de l’accouchement ou sur le conte pour tous. Parfois, ils entendent une vanne, ils rigolent et puis c’est comme s’ils la comprenaient une deuxième fois, comme s’il y avait une deuxième lecture, particulièrement dans le conte pour tous où il y a plein de petites subtilités. Tu as l’impression d’avoir touché dans le mille et c’est comme s’ils avaient l’image en gros devant eux et qu’ils ne pouvaient plus s’arrêter de rire. C’est assez jouissif et c’est vraiment génial à vivre.
Je t’ai découvert grâce aux Colocataires, le spectacle d’improvisation. Qu’est-ce que ce spectacle t’a apporté et que représente-t-il pour toi ?
« Les Colocataires », ça a été un de mes premiers spectacles à Paris. Je commençais à avoir quelques sketchs mais pas encore de spectacle à part entière, et comme j’étais au Théâtre Le Bout, c’est comme ça que l’on s’est rencontrés.
J’ai développé avec eux ma deuxième passion qu’est l’improvisation. Je suis un fan d’impro, et c’est vrai que ça m’a aussi amené une liberté et une connaissance du jeu, des ruptures, du rythme. On a joué quatre ans ensemble, c’était incroyable. Et puis il y avait une vie de troupe aussi, qui change beaucoup du one-man. C’était hyper sympa de les retrouver parce que, quand tu montes sur scène en impro, tu n’as pas la même pression que quand tu montes sur scène tout seul, car tu sais que tu as tes copains qui sont là : si tu es un peu moins bien, ils seront là pour te rattraper et inversement.
Je me suis vraiment éclaté avec eux, et on a eu la chance que le spectacle cartonne pendant des années. Je les ai quittés quand ils arrivaient à la Comédie de Paris. Ça a été un plaisir de faire partie de cette aventure pendant quatre ans.
En parlant d’impro, j’ai vu que tu faisais aussi partie de la LIFI…
La LIFI, c’est là où je me suis formé en tant qu’improvisateur. Avec eux, on fait plutôt des matchs d’improvisation. Avec les Colocataires, c’était plutôt du cabaret d’improvisation.
La LIFI, c’est un peu eux qui ont importé le match d’improvisation du Québec il y a maintenant plus de 30 ans. Et j’ai appris cette forme d’improvisation-là. On fait aussi de l’improvisation en entreprise : c’est assez rigolo de faire des restitutions de débats, des démos d’impro. C’est une autre manière de bosser mais les deux étaient très nourrissant.
On peut également te retrouver dans des films et téléfilms. Du coup, est-ce que tu te sens plus proche de la scène ou de l’image ?
C’est comme si tu devais choisir entre ta mère ou ton père, c’est impossible.
Pour la scène, il y a quelque chose de très spontané, un retour immédiat. Dans le jeu, tu dois être un peu plus large, un peu plus expressif. Et tu dois projeter un peu plus pour que le mec qui est au fond de la salle puisse sentir ton émotion.
La caméra, c’est autre chose : tu joues plus pour une personne qui est le réalisateur et ton jeu est beaucoup plus intérieur, c’est-à-dire que tu ne vas rien projeter, tu vas juste garder en toi et c’est la caméra qui va venir le chercher.
Ce sont deux manières de travailler qui sont très différentes. Ce qui m’a toujours plu c’est que j’ai réussi à continuer à faire l’un et l’autre sans être dégouté de l’un ou inversement. J’ai toujours eu la chance de pouvoir tourner chaque année en continuant à jouer mon spectacle.
Quel a été ton projet le plus fou jusqu’à présent ?
Le plus fou…Quand on me passe un coup de fil et qu’on me dit « est-ce que je peux donner tes coordonnées à Clara Morgane pour faire une pub pour des cornichons ? », c’est un projet au démarrage où tu te dis que c’est un peu taré.
Le truc le plus fou ça a été de faire l’Olympia avec le Point Virgule, parce que c’est une scène mythique.
Ça a également été d’avoir décroché un rôle dans le film « Cloclo », c’est fou pour moi, petit lyonnais que je suis, d’arriver sur grand écran et te retrouver dans un biopic aussi important. Les projets sont tous un peu fous en soi, je ne sais pas si on pourrait en catégoriser un de plus fou.
Et est-ce qu’il y a un projet que tu rêves de réaliser ?
Faire un jour l’Olympia tout seul, parce que c’est le rêve de tout artiste.
Et je rêverai un jour de faire une vraie belle comédie au cinéma. Je me suis rendu compte que tous les films que j’ai pu faire, ce ne sont pas des comédies, mais des fictions de drame. Pour moi, c’est hyper flatteur car on met en avant mon côté comédien et pas mon côté comique. Mais je rêverai un jour d’avoir un super film comique et de pouvoir m’épanouir là-dedans. J’ai étébercé par les films avec Louis de Funès, Michel Serrault, Daniel Auteuil, qui sont des formidables acteurs de comédies. Je rêverai un jour d’avoir mon premier rôle de comédie.
Quels sont tes projets à venir dont tu es en mesure de nous parler ?
Il y a toujours le spectacle, au Point Virgule jusqu’à septembre et après en tournée.
Et c’est aussi d’aller décrocher un peu plus d’autres castings, d’aller travailler l’acteur autrement, d’aller retourner s’entraîner pour ne pas prendre de mauvaises habitudes sur scène par rapport à la caméra. Je m’en rends compte aujourd’hui, mais c’est vrai qu’il faut faire confiance à la vie et au destin parce que les projets arrivent du jour au lendemain et en deux mois tout peut basculer. Pour tous les castings que j’ai pu faire, tout s’est déclencher assez vite.
Que dirais-tu à ceux qui n’ont pas encore vu ton spectacle ?
Si vous voyez l’affiche ou si vous me voyez en photo, vous allez vous dire « il est un peu lisse, il est un peu gentil, il a une tête de gendre idéal », mais en fait, je suis un vrai connard. Venez laisser parler le connard qui est en vous.
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Si tu étais…
…un film : « Les Visiteurs »
…une chanson : « J’irais au bout de mes rêves » de Jean-Jacques Goldman
…une livre : « L’Alchimiste » de Paolo Coelho
…un personnage : Kylian Mbappé (parce que c’est la Coupe du Monde)
…une citation : « Il faut rêver très haut pour ne pas réaliser trop bas » et « Keep Dreaming »
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À propos
Lauriane, théâtreuse passionnée, met en lumière le monde du spectacle, pour ajouter plus de théâtre à la vie et plus de vie au théâtre.
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