Pour ma toute première interview, j'ai eu la chance de rencontrer Yvonnick Muller, découvert à l'occasion de la comédie musicale "Priscilla, Folle du Désert" où il interprète le rôle de Franck, mais où il est également doublure pour les rôles-titres de Dick / Miss Mitzi et de Bernadette…Un gros coup de cœur aussi bien artistiquement qu'humainement pour un comédien aux multiples talents, passionné et passionnant !
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Peux-tu te présenter en quelques mots : qu’est-ce qui t’a poussé à faire ce métier ? Quelles sont tes influences ?
Quand j’étais plus jeune, mon frère avait une guitare électrique avec laquelle je m'amusais, en mode autodidacte, volume à fond... Toute ma famille râlait ! Mais moi je trouvais ça super. On a monté un groupe avec des amis, d'abord c'était la guitare, puis le chant.
J’ai toujours adoré les moments sur scène, faire passer de la vie, des émotions. Et c'est ce qui m'a amené à essayer le théâtre, que j’ai commencé juste comme ça, en hobby, alors que je travaillais à New York. J'ai eu la chance de tomber sur une super prof, qui m'a transmis l'amour qu'elle avait pour son art. J’ai ensuite fait une formation pro là-bas, et c'est devenu mon métier.
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Je te découvre grâce à “Priscilla, Folle du Désert”, qui est ta première comédie musicale. Comment as-tu été amené à rejoindre l’aventure ? Et qu’est-ce qui t’a séduit dans le spectacle ?
Je suis arrivé sur ce projet via Bruno Berberes, le directeur de casting de « Priscilla ». Cela faisait à peu près quatre ans que j'auditionnais régulièrement pour lui sur différents projets de comédies musicales. Même si j’allais souvent jusqu’au dernier tour, je n’étais jamais casté. Mais il continuait de m’appeler, et ça a fini par porter ses fruits ! Et je suis ravi que ce soit sur un projet comme celui-là. Il y a une vraie qualité des scènes de théâtre, des tubes à gogo, une extravagance due à l'univers drag' qui est juste dingue, un bus sur scène – ça aussi c'est fou ! – et pour finir, une histoire qui me touche, porteuse d’un beau message de tolérance... Voilà, comme tu vois, il y a beaucoup de choses qui m'ont séduit !
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Dans le spectacle, on peut te voir dans le rôle de Franck. Il t’arrive également de jouer les rôles de Dick / Miss Mitzi et de Bernadette, selon les représentations : comment en es-tu arrivé à devenir remplaçant de deux des personnages clefs de l’histoire ?
Bonne question. J’ai été casté au départ pour être en alternance sur le rôle de Dick pour une période où Laurent Bán (Ndlr : le titulaire du rôle) devait être à l'étranger pour une série de concerts. Le metteur en scène Philippe Hersen m’a alors proposé d’intégrer l’ensemble avec le rôle de Franck, pour que je sois avec eux tous les soirs. Et après quelques semaines de répétitions, on m’a demandé d'apprendre aussi le rôle de Bernadette. J'ai donc travaillé les deux rôles en parallèle, en plus de mon parcours de Franck. C'était un beau challenge. Du coup j'ai aussi pu partager la scène avec Laurent Bán lorsque je jouais Bernadette, ce qui était plutôt sympa !
Alterner comme ça d'une semaine à l'autre sur deux rôles principaux, ça n'arrive jamais sur une production de cette envergure. J'essaie d'en savourer chaque instant.
Et comment as-tu appréhendé ces différents personnages ?
Le personnage de Bernadette, transsexuel, demande un vrai travail de composition. C'était un gros challenge d'être crédible dans ce rôle. Il y a un gros travail sur la voix, et sur la physicalité aussi – qui m'a fait suer d'ailleurs ! Et puis il passe quand même tout le show en talons de 10cm... Je n'en avais jamais porté et honnêtement, ma première réaction a été : « bah mince les filles, chapeau ! ». Au début, c’est chaud !! Et comme on joue des drag-queens de métier, il fallait qu’on ait tous suffisamment d’aisance, que ça devienne une seconde nature. C’est typiquement le genre de choses que j’aime faire et que j’attends dans le travail de comédien, d’essayer des nouvelles choses que je n’aurais probablement pas fait seul. Tu vois, j’aurais peut-être passé toute ma vie sans jamais monter sur des talons, ça aurait été dommage !
Et pour le rôle de Dick, il est plus proche de moi, mais il s’agit tout de même d’une drag-queen – donc il y a forcément un travail pour rendre ça crédible !
Es-tu plus à l’aise dans le rôle de Dick ou de Bernadette ?
Ce sont deux efforts différents. Pour Bernadette, il y a une densité qui est là du début à la fin et qu’il faut tenir, que tu n’as pas le droit de lâcher pendant les deux heures du show. Le personnage de Dick est moins marqué – là où ses deux acolytes ont des personnalités plus truculentes et des répliques très drôles — mais c'est lui qui donne l'impulsion de toute cette aventure, qui “drive” souvent les scènes. Et il y a un gros travail de chant, plusieurs chansons en solo... Quand tu es seul face à l’audience, il faut que la chanson soit solide, et que tu emmènes tout le monde.
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Y’a-t-il un moment que tu préfères particulièrement dans le spectacle ? As-tu une anecdote à nous raconter ?
Le premier moment qui me vient à l’esprit est l’instant juste avant d’entrer en scène dans le rôle de Dick. Pour moi, c’était très fort la première fois : tu bosses quand même beaucoup seul pour remplacer un rôle-titre du jour au lendemain. Et quand tu es là, derrière le rideau, que tout est calme, mais tu sais que dans deux secondes tu entres en scène, et que ça va être la folie… Eh bien ce moment c’est… c’est un peu sacré je crois.
Il y a aussi les moments de complicité sur scène, avec les trois drags, mais aussi avec le reste de l’équipe — par exemple, sur le tableau avec tous les garçons en mode french cancan, bas résilles et plumes, on s’amuse comme des petits fous !
Et côté anecdote, pour m’entraîner, je passais beaucoup de temps à la maison sur des chaussures à talons, si bien qu’à un moment, mes enfants (des jumeaux de deux ans), dès qu’ils voyaient ensuite des talons, les indiquaient fièrement en répétant, s’exclamant joyeusement : “chaussures de papa” !
Dans la comédie musicale "Priscilla, Folle du Désert"
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Tu as également travaillé sur plusieurs courts-métrages, primés en festival, avec un collectif. Peux-tu nous en dire plus sur ton rôle dans ces réalisations, et sur ce que cela t’a apporté ?
Ça a commencé il y a cinq ans, on a monté une équipe pour le 48h Film Project, où il faut écrire, tourner et monter un film en 48h. On a eu entre autres le prix du meilleur scénario. Alors on a continué. On s’est dit qu’on avait peut-être quelque chose à faire là-dedans, et surtout on s’amusait beaucoup à le faire !
Aujourd’hui, j’écris et réalise en binôme avec Lauriane Escaffre, qui a étudié à la Fémis. Notre dernier court-métrage a été acheté par TV5 Monde. Là on travaille avec une boite de prod pour le prochain, dont le scénario a eu un pré-achat télé, et vient de passer avec succès l’étape des aides régionales - on espère réaliser un beau film !
Et le gros travail de cette année c’est le développement d’un scénario de long. Sans en dire trop, on a envie de mettre en avant des personnages féminins forts, avec un angle plutôt féministe. Et on vient de rencontrer deux productrices avec qui ça a vraiment matché. C’est très excitant et galvanisant d’être porteur d’un projet, d’être à la base, et de pouvoir choisir la forme qu’il va prendre.
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Tu fais beaucoup de choses... De quel métier artistique ne pourrais-tu pas te passer ?
C’est une question que je me suis déjà posée. Parce que j’avais l’impression que je devais choisir… Aujourd’hui je n’en suis plus si sûr. Je crois que le fait de faire plusieurs choses peut nous rendre plus fort dans chacune d’elles, chaque discipline aide et influence l’autre. Par exemple, quand je réalise un film, le fait d’être moi-même comédien m’aide à avoir un regard plus précis sur le jeu des acteurs, et m’aide à les diriger. Bref, je décide de ne me passer de rien !!
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Quelle serait ta plus belle expérience et/ou projet le plus fou ?
“Priscilla” est clairement une très belle expérience. Le fait de pouvoir chanter, danser, jouer...c’est rare !
Sinon j’ai travaillé à plusieurs reprises avec le metteur en scène Yves-Noël Genod, pour des projets quelque part entre théâtre, danse, et performance. On partait souvent d’improvisations, dont on gardait des morceaux pour arriver finalement à une forme plus ou moins fixe. C’était très libre et très joyeux comme processus. Il y avait beaucoup de surprises dans ces spectacles, et qu’est-ce qu’on s’amusait sur scène… Je crois que c’est ça qu’on cherche tous au final, le plaisir ! Et puis ça s’appelle “jouer” - il faut que ça reste ludique.
Et côté cinéma j’ai tenu un rôle principal dans “Merci les jeunes”, un très beau film sur une association de banlieue, et c’était bon d’être là tous les jours, et d’avoir cette responsabilité de porter le film.
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Revenons-en à « Priscilla, Folle du Désert ». Que dirais-tu à ceux qui n’ont pas encore vu le spectacle ?
L’autre jour, je parlais à une ouvreuse qui disait que sur “Priscilla”, les gens arrivent dans la salle en début de soirée avec “leurs têtes de parisiens” - fatigués de leur journée, un peu fourbus - et qu’ils ressortent souriants, de bonne humeur… C’est un vrai spectacle feel good, et je trouve ça très réjouissant d’y participer. Je crois que par ces temps plutôt moroses, on en a plus besoin que jamais. Et en plus, il y a une belle histoire, qui parle de tolérance, d'acceptation de l’autre, mais sans jamais être didactique, ça reste fin. Et drôle aussi !
Quel effet ça fait de voir chaque soir un public qui se lève, danse et fait la fête ?
Le final de “Priscilla” est toujours un très beau moment. Le travail est fait, donc on peut tous relâcher la pression, et juste partager avec le public… C’est très joyeux, parfois émouvant aussi, et j’essaie d’en profiter chaque soir.
Y’a-t-il une réaction de spectateur qui t’a touché en particulier ?
Une dame d’un certain âge, qui a vu le spectacle, et qui avait dit quelque chose de l’ordre de « ça devrait être obligatoire, autant pour la bonne humeur que pour le message de tolérance ». J’ai trouvé ça beau.
Les félicitations d’un groupe de trans et drag-queens un soir de rôle principal m’avaient aussi spécialement touché.
Et pour finir, une amie me disait que ce qu’elle avait apprécié, c’est qu’à aucun moment on n’assène un message, on ne fait que montrer les choses : on passe du temps avec un trans’ et deux drag-queens, et puis il y a le gamin à la fin qui, contrairement à certains adultes, accepte tout ça tel quel, sans idées préconçues. Je trouvais ça très juste comme analyse, et par les temps qui courent, quel plaisir de participer à un spectacle qui dit « laissons les gens vivre comme ils ont envie de vivre »
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As-tu des projets à venir, dont tu es en mesure de nous parler ?
Pour “Priscilla”, il y a la rentrée, puis la tournée. Et en parallèle, préparation et tournage de notre court-métrage, et écriture du long. On a l’impression que notre sujet est dans l’air du temps, et que si on ne le développe pas rapidement, d’autres auront la même idée, ou une idée similaire. Et j’ai aussi un projet musical perso sur lequel j’aimerai avancer. Globalement, je crois que quand on a une envie de projet, il ne faut pas trop traîner, il faut y aller avant qu’elle se fane.
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Si tu étais…
...un film :
« Hasta la Vista » de Geoffrey Enthoven
...une chanson :
« I Will Survive » !!! (Gloria Gaynor)
...un livre :
« A brave new world » de Aldous Huxley
...une comédie musicale :
« Priscilla Folle du Désert » (voyons !!)
...une citation / un proverbe :
« Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. »
Tournage récent pour la série "Tandem" avec le comedien Patrick Descamps // photo avec comedien allemand et ami Lucas Prisor à Cannes
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À propos
Lauriane, théâtreuse passionnée, met en lumière le monde du spectacle, pour ajouter plus de théâtre à la vie et plus de vie au théâtre.
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