Dans une entreprise mystérieuse, un recruteur affable fait passer un entretien d’embauche à un candidat désespéré et fébrile, et prêt à tout pour obtenir le poste. Pour confirmer l’avis positif du recruteur, celui-ci va lui faire passer un test impliquant son épouse, et voir jusqu’où le candidat est prêt à aller pour obtenir le job…
En voyant cette pièce, j’ai pensé à ce grand film qu’est “
Le Couperet” de
Costa-Gavras (avec José Garcia, Karin Viard, Ulrich Tukur). Dans ce film, le personnage de José Garcia ne voyait d’autre moyen, pour sortir du chômage, que d’éliminer un à un tous ses rivaux sur le poste sur lequel il candidate. Mais que se passerait-il si le personnage n’avait pu se retourner que contre lui-même ? Jusqu’où aurait-il accepté d’aller pour échapper au chômage, quitte à perdre toute dignité et identité ?
Le texte de Victor Haïm est superbe de subtilité, et l’intrigue implacable et cruelle. En quelques répliques, l’essentiel est planté, et les personnages sont posés dans leurs enjeux et leur complexité ; même s’ils ne resteront en apparence, que des fonctions symboliques tout au long de cette pièce, ils permettent effectivement à l’auteur d’imaginer jusqu’où ils peuvent aller lorsque l’élément humainement imprévisible vient mettre son grain de sel. Se succèdent des répliques d’un humour noir féroce et grinçant, qui met mal à l’aise autant qu’il éveille la curiosité sur cet univers et ses protagonistes. Et s’il ne fait pas rire, c’est qu’il fait résonner avec justesse nos cordes sensibles…
Mais un texte, aussi beau soit-il, ne reste qu’une abstraction tant qu’il n’y a pas des gens brillants pour le rendre concret et palpable sur une scène. Et ici, la mise en scène et l’interprétation, toutes deux exceptionnelles, viennent en effet sublimer le texte !
Plusieurs niveaux de lecture se complètent idéalement. Au premier degré, vous pourrez y voir une sorte de thriller implacable au dénouement imprévisible, incroyablement dur et logique à la fois… Mais la mise en scène de Sylvie Laguna, dont le surréalisme fait penser à l’univers de
Buñuel, nous renvoie à nos propres vécus, peurs, dans une atmosphère de cauchemar. Arrive alors sans s’en rendre compte un reflet intéressant du côté sombre de ce que nous observons parfois autour de nous… Jusqu’où un être humain peut être mis plus bas que terre pour réaliser son ambition ou ses besoins vitaux ?
La notion de dignité est au centre de cette pièce, mais c’est paradoxalement par son absence progressive qu’elle brillera. Jusqu’où peut aller un être humain pour obtenir un job ?
La mise en scène surréaliste à la Bunuel, au lieu d’éloigner le spectateur de ce que ressentent les personnages, participe paradoxalement à faire ressentir au public ce sentiment de fébrilité et d’inquiétude vitale ou existentielle qui règne sur scène. L’atmosphère de cauchemar devient alors palpable, et le spectateur pourra alors même ressentir de l’empathie pour ces personnages dont il partage le sentiment de malaise…
Qui dit surréalisme dit symbolisme ; et ici, en effet, les symboles sont habilement mis en scène à travers le décor, les accessoires et la chorégraphie inspirée de la corrida, jusque dans les couleurs de certains costumes.
Et l’interprétation vient alors donner vie à ce tableau juste et effrayant à la fois…
Ce qui vous marquera en premier lieu, ce sera le sadisme du recruteur manipulateur, joué brillamment par Florian Blache, et le plaisir à peine voilé qu’il prend avec volupté à faire perdre toute dignité au candidat… Dans cette interprétation, le pervers sadique cohabite avec brio avec le toréador sublime, chorégraphié de façon subtile et drôle à la fois. Le comédien incarne à la perfection, avec subtilité, toute une palette de sentiments effrayants, et donne vie à un personnage tout en nuance, qui saura vous surprendre jusqu’au bout.
Ensuite, ce sera la métamorphose du candidat, joué excellemment par Aurélien Oosterlinck : candidat dynamique prêt à tout, mesquin, sans aucune humanité, caméléon malléable, mais fébrile à l’idée de perdre cette opportunité, il ressent à la fois peur panique et instinct du taureau face à ce toréador qui le mène par le bout du nez, jusqu’à ce que ne reste de lui qu’un objet déshumanisé, un robot qui n’est plus que l’ombre et le reflet éteint de ce qu’il a été…
Chloé, l’épouse du recruteur, jouée de façon impériale par l’excellente Shirley Coquaire est le personnage le plus énigmatique, le plus excentrique, dans sa sensibilité à fleur de peau d’écorchée vive. Au premier abord, on la croit rendue folle et alcoolique par un mari violent et manipulateur ; et finalement, impossible de savoir ce qui se passe dans son esprit, et quel est son dessein… Mensonges et supercheries cachent des vérités, et réciproquement.
J’aimerais tellement vous en dire plus, sur cette pièce exceptionnelle ; mais je suis déjà trop bavard, et il serait préférable que vous alliez la voir vous-même. Vous ne ressortirez peut-être pas indemne de cette pièce, mais à coup sûr, vous en ressortirez en ayant appris quelque chose, sur vous-même ou vos contemporains…
En ressortant de la pièce "
Velouté", vous vous rappellerez que, comme le dit Chloé,
« Pour obtenir quelque chose de bon, de velouté, il faut écraser de pauvres légumes. » Mais rappelez-vous alors, pour retrouver l’espoir, de ce que disait Eleanor Roosevelt :
« Personne ne peut vous faire sentir inférieur sans votre consentement. »
Sur ce, je vous dis à très vite, et au plaisir de se croiser dans une salle de spectacles, dans la vraie vie, ou bien ici-même, pour un nouveau récit d'aventure théâtrale.
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L’Equipe Artistique :
Auteur : Victor Haïm
Porteur de projet : Florian Blache
Mise en Scène & Direction Artistique : Silvie Laguna
Interprètes :
Florian Blache, dans le rôle du Recruteur
Shirley Coquaire, dans le rôle de Chloé - l'épouse du Recruteur
Aurélien Oosterlinck, dans le rôle de Jonathan - le Candidat
Compositrice & Musicienne : Catherine Lara
Chorégraphe : Redha Benteifour
Création Sonore : Xavier Robin
Scénographie : Agathe Mondani
Accessoires : Clotilde Denayer
Lumières : César Dumay Houard
Costumes : Dimitri Henri
Création Visuelle : Théo Martin
Régisseur : Damien Dufour
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A destination des programmateurs : pour découvrir ce spectacle et l’amener dans votre ville et/ou lieu de spectacle, je vous invite à prendre contact avec :