Dans cette nouvelle lettre, j’aimerais vous donner envie de voir un film qui n’est pas à proprement parler une sortie récente, mais qui est cher à mon cœur pour beaucoup de raisons : “Une Affaire d’Honneur”, de Vincent Perez, qui a réuni la fine fleur du cinéma français autour du fleuret.
Paris 1887. À cette époque, seul le duel fait foi pour défendre son honneur. Clément Lacaze, charismatique maître d’armes se retrouve happé dans une spirale de violence destructrice. Il rencontre Marie-Rose Astié, féministe en avance sur son époque, et décide de lui enseigner l’art complexe du duel. Ils vont faire face aux provocations et s'allier pour défendre leur honneur respectif.
Pour vous donner envie de voir ce film, je pourrais vous parler d’ode au féminisme, du tragique et de l’intensité de ses scènes de duel ultra réalistes, de sa façon de montrer beaucoup avec peu d’effets, et de sa profondeur quand il parle des déterminismes sociaux autant que des passions individuelles.
Mais je dirai surtout ceci : il y a de multiples façons de faire un grand film ; et l’une des plus belles façons de faire un grand film, c’est de faire un film juste, au sens où il parle à chacun de nos propres vécus.
Ici, le film est exceptionnel d’un point de vue technique : des acteurs incroyables, des scènes profondément immersives, l’art de planter un décor et de faire comprendre les enjeux d’un univers en quelques instants, des scènes millimétrées pour créer de l’émotion, une maestria pour créer de la beauté…
Mais ce film est surtout juste, et c’est avant tout ce qui en fait un grand film.
Un grand film réaliste ne sera pas seulement brillant ou beau ; il va surtout faire revivre à ceux qui le voient des moments de leur vie, qu’ils soient beaux ou tragiques, douloureux ou apaisants…
Vincent Perez ne signe pas seulement un film méritant d’un point de vue technique, il signe surtout des portraits qui parleront à tous ceux qui se sont battus un jour pour défendre leur honneur ou leurs principes, ou parce qu’ils se sont laissés entraîner dans ces moments où se battre vous apparaît comme la seule solution pour sauver votre peau ou celle des autres ; que ce soit sur une piste d’escrime, un ring, dans la rue, ou dans un combat moral ou intellectuel, par la parole au milieu d’adversaires hostiles ou par les armes des arguments, du droit et de la raison.
Il parlera également à ceux qui ont connu le tragique, mais aussi la bêtise de ces affaires d’honneur ou la leçon que vous allez recevoir sera la dernière de votre vie, et où le futile peut entraîner la mort comme conséquence…
Inutile de dire que Vincent Perez, expérimenté dans la mise en scène de duels, nous livre des scènes de duel extrêmement justes d’un point de vue technique, et très esthétiques, haletantes pour un escrimeur confirmé comme pour celui qui n’a pas l’habitude du combat.
Belles, mais qui n’apparaissent pas au spectateur comme les chorégraphies millimétrées qu’elles sont pourtant sur le tournage, mais comme aussi dures que le combat réel, celui qui sent la poussière et le goût âcre du sang…
Pour celui qui a connu la réalité d’une scène de violence, la mise en scène ne privilégie pas le beau, mais l’immersion. En un instant, on est à la place des personnages qui vivent cette violence.
J’aime beaucoup les belles scènes romantiques de duel, très esthétiques, mais ici, c’est autre chose : on ne regarde pas une belle scène romantique, on est plongés dans une scène réaliste et violente, violente parce que réaliste, et réaliste parce que violente.
Mais tout a un sens, et on ne voit que très peu le sang couler. Mais quand il coule, on ressent réellement de l’empathie pour celles et ceux qui souffrent…
La sauvagerie de ces moments terribles, parfois horribles, est remarquablement restituée.
L’une des prouesses de ce film est qu’il est inutile, pour Vincent Perez, d’en faire des tonnes pour planter toute la portée tragique d’une situation, la profondeur du silence de celui qui a vécu l’horreur des combats, ou la passion de celle qui se bat et qui change les choses.
Lorsque deux hommes frappent à votre porte pour vous annoncer la nouvelle que vous êtes défié en duel, peu d’effet de style, mais tout sonne incroyablement juste : rien de spectaculaire n’a eu lieu, mais vous sentez la présence de la mort, qui attend son heure… et chaque scène de duel met en valeur l’intensité du moment, où rien d’autre n’existe dans l’esprit de celui qui vit ce moment, jusqu’à la sauvagerie la plus étonnante chez des hommes capables d’un tel niveau de protocole pour codifier la préparation de leurs assauts.
Il montre aussi parfaitement bien comment les déterminismes sociaux amènent un enchaînement fatal et inéluctable, une spirale infernale et logique.
Ceci grâce à un degré parfaitement rigoureux de préparation du film en amont : immense travail de recherches historiques et de préparation des acteurs & maître d’armes (préparation physique, chorégraphie) , caractérisation des personnages, pour leur permettre de représenter l’esprit de cette époque, en effleurant la psychologie collective de cette société qui amène à cette approche très particulière du duel.
"Une Affaire d’Honneur", c’est d'ailleurs autant un film sur le duel qu’une ode au féminisme, et le combat politique sonne aussi juste que les duels à l’épée qui en sont parfois le prolongement.
Là aussi, celui qui a connu l’arène politique sait qu’il est difficile de la mettre en scène sans que cette représentation ne sonne faux (exagérée, idéalisée, trop policée, trop romantique…), à un moment ou un autre…
Ici, la justesse de la mise en scène et le travail de préparation documentaire permettent de restituer l’intensité de ces affrontements en quelques traits simples et percutants. Pas besoin d’en faire trop pour que résonne immédiatement en vous quelque chose de cet aspect intime de la politique au sens noble du terme ; pas de sa vision romantique, mais de ce qu’elle est réellement.
Le combat des idées, à travers les idées nobles du féminisme. Ici encore, le film arrive à faire passer en quelques instants cette dureté des rapports sociaux, et son corollaire : la difficulté à se réveiller chaque jour en un monde où l’idée de l’égalité entre hommes et femmes pouvait vous faire passer pour un fou… Ou une folle ! Et à rester pourtant debout et digne pour mener à bien ce combat avec efficacité, sans perdre pied et sans céder de terrain à vos adversaires !
Peu de films arrivent à faire un portrait qui sent le vécu pour ceux qui se sont battus sur le combat des idées, des valeurs, et tout simplement des besoins les plus vitaux, que ce soit sur le terrain du droit, de la politique, ou du débat intellectuel. Ici, pas d’exagération, pas de romantisme, pas d’idéalisation, mais une incroyable intensité du rapport intime et profond à cette autre forme de combat.
Roschdy Zem allie la sobriété à l’élégance et l’expressivité dans chacune de ses scènes, alors que beaucoup sont silencieuses, et que seuls le corps, le visage, et le regard peuvent faire passer l’émotion, sans le renfort de la voix, ce qui est l’une des façons de jouer les plus difficiles pour un acteur…
Doria Tillier, quant à elle, réalise un autre genre de prouesse : celle où son aura suffit en un instant à vous galvaniser et à faire passer la passion ! Elle crève l’écran à chacune de ses apparitions. Elle est l’élégance, la force, la volonté et la passion incarnées.
Guillaume Gallienne joue la noblesse, au même titre que Roschdy Zem ; on adore détester Damien Bonnard en grand bonhomme stupidement macho ; et Vincent Perez joue un « méchant » d’autant plus effrayant qu’il nous rappelle que le mal a généralement un visage humain.
Ce film contient de multiples dimensions en une, dont ces deux essentielles : le tragique du duel, l’honneur à défendre, et la volonté de faire triompher une forme de justice, ou simplement de veiller à ce que chacun assume les conséquences de ses actes et de ses propos, contre la bêtise de mourir par futilité, ou pour des affaires qui auraient dû se résoudre par l’intelligence, quand ce n’est pas instrumentalisé par une volonté de tuer ;
Et aussi la passion du combat pour ses idées, avec une belle ode au féminisme, lorsqu’une femme se dresse contre des hommes puissants, et ce sur leur propre terrain, et leur montre que l’honneur et la noblesse ne leur appartiennent pas à eux-seuls ;
Tout ceci au milieu de la douleur, la maîtrise de soi, la ruse, l’empathie, la détermination, et l’amour.
En allant voir ce film, je ne savais pas à quoi m’attendre, mais un film avec Roschdy Zem et une affiche aussi classe, aussi belle, allait forcément être bon ;) . Finalement, j’ai ressenti une émotion aussi intense, bien que très différente, que devant un autre grand film qui analyse le duel : “Les Duellistes”, de Ridley Scott. Et comme le disait le Fossoyeur de Films, je ne me sens jamais aussi bien au cinéma que lorsqu’il me donne envie de me taire pour en profiter !
Et ce film a également une autre qualité, d’autant plus chère à mon coeur : montrer qu’une femme peut parfaitement défaire un homme, par la parole, à mains nues, ou l’épée à la main. Et pour s’en convaincre, allez fréquenter une salle d’armes le temps d’une saison de fleuret, d’épée ou de sabre, et observez les assauts entre hommes et femmes… Comme me le disait un maître d’armes lors d’une compétition : un jour, les compétitions d’escrime sportives seront probablement mixtes, comme le sont les entraînements ; et ce sera une très bonne chose, qui apportera beaucoup à ce sport !
Sur ce, je vous dis à très vite, et au plaisir de se croiser dans une salle de spectacles, dans la vraie vie, ou bien ici-même, pour un nouveau récit d'aventure théâtrale.
✨✨✨✨✨
L'Equipe Artistique :
Réalisateur & Scénariste : Vincent Perez
Interprètes :
Roschdy Zem, dans le rôle de Clément Lacaze
Doria Tillier, dans le rôle de Marie-Rose Astié de Valsayre
Guillaume Gallienne, dans le rôle de Eugène Tavernier
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À propos
Lauriane, théâtreuse passionnée, met en lumière le monde du spectacle, pour ajouter plus de théâtre à la vie et plus de vie au théâtre.
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