Après le succès du roman "La mécanique du cœur" de Mathias Malzieu - du groupe Dionysos, puis de l'adaptation sous forme de film d'animation qu'il a réalisé avec Stéphane Berla, voici la première adaptation scénique, à l'initiative de Coralie Jayne et de la Compagnie Le Moineau, présentée à au théâtre A La Folie Théâtre.
L'auteur, Mathias Malzieu, a pour particularité d'associer des éléments concrets avec des éléments fantastiques, nous emmenant dans un univers de conte. Aussi, dans une adaptation relativement fidèle au livre, ici l'amour est la thématique centrale de l'histoire. Avec une mise en scène chorégraphiée avec finesse et nous donnant une impression de douceur et de rêverie, ce sont six comédiens - jouant chacun plusieurs personnages, qui jouent la comédie, chantent, dansent, utilisent l'espace scénique tout entier pour nous transporter avec eux dans l'histoire et nous emmènent dans un univers à la fois fantastique et poétique.
Et puis, chose que j'apprécie grandement au théâtre, c'est il s'agit d'un spectacle de troupe : c'est-à-dire qu'il y a le travail de Coralie Jayne - metteure en scène - mais aussi tout un travail d'équipe, avec l'ensemble des comédiens, dont on se rend rapidement compte de la complicité sur scène. Ils ont su à merveille retranscrire l’ambiance fantastique imaginée par l’auteur pour nous faire ressortir avec des étoiles plein les yeux.
J'ai particulièrement apprécié la musique jouée en live, ainsi que toute l'atmosphère du conte et du rêve, tout au long du spectacle. Le fait est que l'on est captivés dès les premières minutes par l'histoire, sans temps mort, dynamique et entraînante. "La mécanique du cœur" est un bijou de spectacle que je vous recommande grandement, idéal à découvrir en famille : enfants comme adultes, chacun y trouve son compte.
L'interview : Coralie Jayne nous parle de son adaptation de "La mécanique du cœur"...
J'ai eu également l'opportunité de rencontrer Coralie Jayne, à quelques minutes d'une représentation, et qui a généreusement accepté de répondre à quelques questions...
Comment est né le projet de l’adaptation sur scène du roman “La mécanique du cœur” et qu’est-ce qui t’a séduite dans l’histoire ?
Le projet est né en 2009. J’étais au Cours Florent, et en troisième année, on pouvait monter un TFE (Travail de Fin d'Études). J’avais envie de faire quelque chose mais je ne savais pas quoi (ce n’était pas un travail obligatoire). Puis, pendant l’été 2009, pendant les vacances, j’étais dans le sud, dans un supermarché, et je suis tombée sur ce bouquin qui était déjà sorti depuis 2006. J’ai lu le résumé au dos, et je me suis dit que c’était exactement tout ce que j’aimais. Cela avait l’air assez cruel, j’aime bien quand les fins ne sont pas forcément heureuses, ce qui reflètent aussi la vie. Je l’ai lu et j’ai tout aimé. Et l’écriture de Mathias Malzieu est incroyable ! Je connaissais très mal le groupe de musique Dionysos, que j’ai redécouvert après. Tout m’a séduite dans le roman.
Qu’est-ce qui te motive dans la mise en scène ? Et particulièrement dans ce spectacle ?
J’ai fait deux mises en scène, dont une où je n’ai pas choisi le texte, ni l’équipe. “La mécanique du cœur” - c’est un vrai projet, au début personnel, qui devient collectif ensuite.
Ce qui me motive c’est que c’est un métier complet. On doit toucher à tout et laisser la liberté à toute l’équipe aussi, personne n’est heureux dans un projet où l’on ne doit pas dépasser les lignes et où tout est écrit à l’avance.
C’est une des plus belles choses que j’ai pu faire de travailler à la mise en scène. C’est extrêmement difficile, perturbant parfois, c’est très solitaire aussi parce que je ne suis pas avec eux dans tous ces moments qu’ils partagent en coulisses. Je vis autre chose : le fait de pouvoir les voir et de voir ce spectacle évoluer, parfois dans la difficulté, souvent en bien.
Quelles ont été les contraintes dans cette adaptation ? Comment les as-tu abordées ?
Ce n’était pas évident d’adapter un roman. Je ne l’avais jamais fait. Quand on aime une histoire et un auteur, on a beaucoup de mal à couper et faire des choix.
La première adaptation que j’ai faite en 2010 durait 2h, et il y avait douze comédiens. Aujourd’hui, il y a six comédiens et la pièce dure 1h20. C’était vraiment difficile de couper des choses que j’aimais profondément, que je trouvais belles ou fortes.
La principale difficulté était de faire le choix entre ce qui était nécessaire à l’histoire et au spectacle, et ce qui était simplement plaisant pour moi.
Quand j’ai vu le film d’animation que Mathias Malzieu a réalisé avec Stéphane Berla, j'ai compris qu'il avait lui aussi fait des choix dans son texte, et j’ai vu qu’il avait vraiment osé couper certaines choses, en métamorphoser d'autres (notamment la fin qui ést assez complexe). Cela m’a un peu décomplexée car je me suis dit que s'il se le permettait, il comprendrait peut être qu'on doive le faire aussi! Je me suis penchée à nouveau dessus avec tout le respect que j'ai pour l'auteur et son texte, et on est arrivés à cette adaptation-là, qui évolue encore (nous avons encore rajouté des scènes par rapport à l’année dernière).
Pourquoi avoir choisi un maquillage blanc sur les visages ?
Pour rentrer tout de suite dans le conte et pour que l’on soit immédiatement projetés dans un univers qui n’est pas le nôtre. C’est un monde à part entière qui est différent, qui a sa propre mécanique. C’est aussi quelque chose que j’aime bien, pas forcément commun au théâtre aujourd'hui. Certains disent que c'est d'un autre temps!
Quand je visualise une scène, j’imagine un peu en “dessin animé” et quand on passe au plateau, j’ai envie de choses très marquées au niveau des visages, et c’est ce qui m’a donné envie du maquillage. Il s’efface au fur et à mesure de la représentation et on en joue aussi en revenant à quelque chose de plus vrai et en enlevant un peu ce grimage.
As-tu besoin d’avoir des affinités fortes avec les comédiens que tu diriges ?
En tout cas, en tant que metteur en scène, j'ai la sensation que je dois aimer le comédien que j'ai en face de moi. Si je le choisis pour faire partie d’un projet, d’une pièce que j'ai rêvée, il faut qu’il y ait quelque chose qui me fascine chez lui, ou en tout cas que j'apprécie.
Sur ce projet-là, on ne se connaissait pas tous au début, et il se trouve qu’il y a eu des vraies belles rencontres. On s’aime très profondément, mais ça c’est le petit plus!
Je ne suis pas sûre que ce soit absolument nécessaire de vraiment s’apprécier dans la vie, mais il est important de s’aimer dans le travail et d’avoir un but commun.
On est tous très différents, on ne vient pas des mêmes "milieux théâtraux" mais on a quelque chose de commun, une exigence, une façon de voir les choses, et puis un goût pour le conte et la poésie.
Ce qui est apparu avec ce projet-là, c’est une troupe. On pense à d'autres spectacles ensemble. D’ailleurs, je pense que cela se ressent sur scène, en tout cas on nous le dit souvent, et c’est le plus beau des compliments qu’on puisse nous faire, parce qu’effectivement c’est un travail très choral. Cela demande d’être capable de se dire que le "tout" passe avant ce que je fais sur le plateau : être au service d'un spectacle et de tout ce que celà implique, non pas d'une partition unique.
Y’a-t-il un moment que tu préfères particulièrement dans le spectacle ?
Il y a des moments qui me touchent par ce qu’ils racontent - et qui me touchaient déjà dans le livre.
Mon moment préféré pourrait être la scène du départ de Jack. Je me souviens très bien quand on l’a créé et je sais que cela a été fait de manière très collective. J’avais une idée en tête, quelque chose de très chorégraphié, presque dansé, mais je ne savais pas forcément comment leur expliquer. On apprenait encore à se connaître, et c'était une proposition un peu particulière. Il fallait qu'ils me fassent confiance! C’était en 2015, juste avant le Festival d’Avignon, et c’était un moment de travail fort, une scène qui me touche assez parce que tout le monde à mis quelque chose dedans, dans les propositions qui ont été faites.
As-tu une anecdote à nous raconter ?
Il y en a tellement !
Le spectacle a été créé en 2014, on a fait deux premières résidences près de Paris, et on avait un comédien - Martin Nikonoff - qui jouait Jack, dont on savait qu’il ne pourrait pas poursuivre l’aventure. On est donc passés par un processus de re-création, juste avant le Festival d’Avignon 2015. J’habite à la campagne, dans le sud, mon père est exploitant agricole, et on répétait dans son hangar le soir quand les ouvriers étaient partis. On fermait pour être au frais, et on répétait sous les néons d'un hangar où la terre était rouge - argileuse - les comédiens étaient plein de poussière. C’était pendant les deux semaines qui ont précédé le Festival d’Avignon, et je crois qu’on était plus épuisés au début du festival qu’à la fin. Ce sont des moments assez forts parce que c’est de la "débrouille", et l'équipe a accepté des conditions qui n’étaient pas forcément évidentes, mais on en a fait quelque chose de joyeux.
Que dirais-tu à ceux qui n’ont pas encore vu le spectacle ?
Que c’est un vrai spectacle de troupe, et que s’ils ont envie de voir du théâtre de compagnie, je pense que c’est un bon exemple. C’est ce théâtre-là que l’on défend en tout cas. Tout a été fait main, bricolé par les uns et les autres. La musique est faite par un des comédiens - Laurent Vigreux, les décors par un autre - Maxime Norin. On s’est vraiment débrouillés avec ce qu’on avait et cela nous a obligés à être inventifs.
C’est un spectacle qui va très vite, ça ne s’arrête jamais, et il y a une vraie ligne esthétique. C’est un spectacle qui peut plaire à ceux qui aiment les images.
Je dirais aussi que c’est un spectacle à voir en famille, parce que les enfants vont venir voir l’histoire d’amour entre les deux personnages, et pour les adultes il y a d’autres propos qui sont plus profonds comme la jalousie, le fait de poursuivre ses rêves, la difficulté de grandir, de faire face à la réalité.