“Big Mother”, quand le théâtre nous emmène en immersion dans le feu de l’action

Chers Théâtreux,

Dans cette nouvelle lettre, je vais vous parler de journalisme, de communications, de technologies, de données personnelles, de sécurité, d’amour, de rapports humains, et surtout d’une pièce se révélant être captivante et haletante du début à la fin. C’est ce que j’ai vécu quand je suis allée découvrir “Big Mother”, la nouvelle création de Mélody Mourey, au Théâtre des Béliers Parisiens.

Ensemble, malgré leurs différends, l'équipe de la petite cellule du New York Investigation va devoir mettre à jour le plus gros scandale depuis l’affaire du Watergate. La démocratie est en péril. Leur vie aussi... Un thriller journalistique sur la manipulation de masse à l'heure du Big Data.

La salle s’éteint, la scène s’illumine en mode “alerte rouge”. Nous faisons la connaissance des journalistes Julia Robinson et Alex Cook, tous deux dans le feu de l’action, semblant tenter d’échapper à une menace. Nous sommes ensuite plongés, tout au long de la pièce, dans les événements antérieurs qui ont mené à cette situation d’urgence. Une entrée en matière haletante, qui réveille, et donne le ton à la pièce.

L’histoire nous emmène en plein cœur des élections américaines où le parti politique “Démocratie Totale” interroge et interpelle sur ses ambitions véritables. L’équipe d’Owen Green, de la cellule “Politique” du journal New York Investigation, est sur le coup. On découvre ainsi la vie de cette équipe de journalistes passionnés et engagés pour leur métier, tentant de mettre à jour la vérité.

Et puis il y a l’inattendu dans la vie privée : Julia Robinson, journaliste passionnée et impulsive dans sa quête de vérité pour défendre l’humain et la liberté d’être, se retrouve confrontée à Ethan, l’homme qu’elle aime et qu’elle croyait disparu depuis plusieurs années, plaidant coupable devant la justice. Alors qu’elle est contrainte à prendre quelques jours de vacances, elle est déterminée à percer le secret d’Ethan pour comprendre, et dénoncer ce qui lui semble injuste, quitte à aller au-delà de ses limites… Voilà qui ajoute encore un peu plus de piment à cette histoire, puisqu’on découvre un peu plus tard que tout est lié.

Dans une société où tout va très vite, notamment dans le traitement de l’information accessible gratuitement et instantanément par l’internet, la pièce se cale sur ce rythme effréné et offrant un rythme intense. J’ai assisté à une ingénieuse dinguerie théâtrale : un jeu et une mise en scène sportive plongeant dans la pièce comme si nous étions au cinéma, à la fois riche et immersive.

Les comédiens y campent chacun plusieurs rôles, et la rapidité des changements de costumes en est parfois aussi troublante que bluffante. En mouvement quasi permanent, face à l’urgence d’une situation, la quête d’un scoop, le désir de vérité, la passion du métier poussant parfois à des situations périlleuses pour une enquête, et leur vie personnelle parfois chaotique, ils virevoltent, dansent, et nous font ainsi vivre la pièce comme une sorte de film chorégraphié. Un régal pour nos yeux de spectateurs !

“Big Mother”, titre de la pièce mais aussi programme de sécurité nationale créé par les services secrets américains, nous amène, par la fiction, à nous interroger sur les algorithmes et les technologies de l’information, les tendances de la manipulation de masse, le storytelling comme outil de communication à la mode, les théories du complot et autres fake news, les discours politiques, la passion et les risques du métier de journaliste, les notions de valeurs, d’éthique, d’authenticité et de vérité, etc. Autant de thèmes qui placent cette proposition artistique dans l’air du temps.

Au travers de “Big Mother” , programme qui apparaît ici judicieux et rassurant en soi, voici une fiction qui invite à s’interroger sur les dérives de ce genre de programme, sur les firmes qui y sont liées et les théories du complot qui en découlent : comme beaucoup de belles inventions, on remarque qu’il y a toujours, outre les avantages et les possibilités, des dérives, comme si une action bienfaitrice attirait comme un aimant des actions malsaines, luttant chacune pour leur vérité, leur mission.

Comment démêler le vrai du faux ? C’est bien là l’action menée par les journalistes, à l’affût, parfois au péril de leur vie. J’ai d'ailleurs particulièrement apprécié cette approche du métier de journaliste, vu ici comme une sorte de messager dont la passion et l’objectif est de transmettre et de révéler la vérité, les faits, et non comme un manipulateur à la botte de l’Etat.

Après les succès des pièces “Les Crapauds Fous” et “La Courses des Géants” (que je n’ai malheureusement pas encore vue), avec “Big Mother”, Mélody Mourey signe une nouvelle pièce qui réveille (dans tous les sens du terme), qui nous tient en haleine à chaque seconde du spectacle. J’ai été totalement embarquée par l’énergie des comédiens dont la performance m’a fascinée et émerveillée. Une nouvelle pépite théâtrale que je vous recommande vivement, pour un moment suspendu et dans le feu de l'action !

Sur ce, je vous dis à très vite, et au plaisir de se croiser dans une salle de spectacles, dans la vraie vie, ou bien ici-même, pour un nouveau récit d'aventure théâtrale.

Crédits Photos : Alejandro Guerrero